Pour une durée initiale de 3 ans et dans le cadre du contrat établi avec l’État français, Telespazio a pour mission d’optimiser le fonctionnement et la gestion des stations VSAT pour les trois îles des Terres Australes Françaises (Kerguelen, Crozet et Amsterdam) ainsi que pour l’Antarctique.
L’appellation VSAT (Very Small Aperture Terminal), « terminal à très petite ouverture », regroupe l'ensemble des technologies de communications par satellite bidirectionnelles qui utilisent des antennes paraboliques, dont le diamètre est compris entre 2,40 m et 3,60 m. Les connexions Internet par satellite sont donc des connexions VSAT.
Rencontre avec Martin Hoez, ingénieur réseaux / sécurité et chef de projet dédié aux TAAF, rattaché à la branche d’activités Télécommunications Telespazio France.
En quoi consiste la mission de Telespazio France sur ces territoires ?
Il s’agit de déployer des moyens de communication satellitaires VSAT performants, en remplaçant les équipements qui le nécessitent après analyse, en préparant les techniciens qui vont intervenir sur place et en effectuant un travail documentaire. Cela implique également la mise en place d’une nouvelle architecture réseau sécurisée sur quatre continents. Les premières interventions sur les stations VSAT des îles Australes ont commencé en mars dernier.
Quelles sont les contraintes les plus importantes à prendre en compte ?
Il convient de séparer les actions qui ont lieu sur place de celles qui se font à distance. Sur place, il s’agit de la gestion de la station VSAT et de la capacité satellitaire qui lui est rattachée. Une antenne est implantée sur un site déporté (sur lequel on veut apporter de la connectivité). Elle va ensuite être raccordée au satellite puis redescendre à un téléport qui sert de hub à plusieurs clients. Les deux plus fortes contraintes sont la logistique des équipements et des personnes en premier lieu. Il faut également s’assurer que nos actions aient le moins d’impact possible sur l’activité des personnes sur les îles, c’est toute l’importance de la conduite du changement.
Quelles sont alors les actions à mener sur place ?
Si l’on prend comme exemple un changement de satellite, il conviendra alors de repointer l’antenne et de remplacer les équipements qui ne seraient plus en phase avec les besoins techniques propres au nouveau satellite. Cela va concerner le router, le modem satellite, le LNB (Low Noise Block-Converter) et le BUC (Block Up Converter). Ce dernier est l'émetteur d'un VSAT qui amplifie le signal et transpose les fréquences qui sortent du modem vers celles du nouveau satellite. Quant au LNB, il s’agit du récepteur satellite d'un VSAT qui se charge d’amplifier et de convertir les fréquences venant du satellite vers le modem pour les connexions Internet et intranet, entre le réseau local et l’antenne. Connexion possible par le biais du concentrateur réseau qui, lui, fera le lien entre le modem et le réseau métiers des TAAF sur les îles.
L’ensemble de ces interventions fait l’objet de procédures détaillées, auxquelles s’ajoutent des fiches de maintenance préventives et correctives, afin de permettre l’analyse des défaillances et, le cas échéant, le remplacement des équipements concernés.
Par ailleurs, nous sommes en mesure de manager les équipements réseaux et les modems depuis les téléports en Europe et en Australie ainsi que depuis nos bureaux en France.
A contrario, quelles sont les actions menées à distance ?
On peut citer la reconstruction d’un intranet qui permettrait de raccorder de façon sécurisée les îles à l’intranet des TAAF à la Réunion, en garantissant, pour une question de gouvernance et de sécurisation des données, la mise en place d’un VPN en fonction du lieu d’implantation du téléport. Le téléport actuel est en Allemagne, ce qui ne pose pas de problème particulier mais dans d’autres cas, comme pour la mission en Antarctique, il est situé en Australie.
Le design de l’architecture change en fonction des contraintes géographiques.
Qui gère les télécommunications sur les TAAF ?
Les services généraux basés à La Réunion les gèrent, et plus précisément le Service des Télécommunications, de l'Informatique et des Réseaux. Ils ont également une à deux personnes dédiées à la gestion des communication radio et des réseaux sur chacune des îles et en Antarctique.
Y-a-t-il une formation dispensée à l’équipe qui reste sur place ?
Oui, mais elle n’a pas lieu sur place. Pour chacune des 3 îles et l’Antarctique, elle se déroule à Paris chaque année. Pendant une semaine, des militaires sélectionnés pas les TAAF, ayant le profil d’administrateurs réseaux, sont formés à toutes les technologies satellitaires, aux calculs de débit, aux revues de procédures. Aucune expertise satellitaire n’est demandée, nous formons les opérateurs à nos propres solutions et systèmes.
La formation comporte plusieurs volets, le premier est un cours de théorie des communications satellites. Le 2e concerne les installations sur les sites et l’architecture réseau et sécurité. Le 3e volet détaille les outils mis en place pour leur permettre de maintenir au mieux les installations, ainsi que les moyens de communication et de gestion des incidents. Ce sont par exemple les fiches de maintenance préventives, qui permettent d’auditer de façon cyclique l’état de vie des équipements pour détecter les dysfonctionnements et anticiper leur remplacement. Les fiches de maintenance correctives visent, elles, à traiter des cas particuliers comme la perte de connexion Internet ou intranet, la perte de téléphonie, etc. Un manuel documenté est laissé sur place pour permettre d’effectuer des premiers tests sur les équipements et ainsi résoudre certains bugs à distance.
En quoi les nouvelles installations vont-elles améliorer les télécommunications actuelles ?
Chacune des îles va bénéficier d’une augmentation significative de débit, grâce au partage de la bande passante. Ainsi, lorsque l’une d’entre elles ne l’utilise pas, les autres bénéficient d’un débit supérieur (jusqu’à 9 Mbits).
Sur le plan de la téléphonie, nous avons mis en place une politique de qualité de service qui a permis d’offrir aux personnels sur place une excellente qualité d’appel, ils peuvent même passer des appels en visio.
Quelle est l’ampleur de la mission en Antarctique et qui en a la charge ?
Il y a actuellement une seule antenne sur place, qui est conjointement utilisée par un organisme public de recherche à caractère scientifique, technique et industriel (EPIC), l’Institut polaire français (IPEV) et les TAAF.
L’antenne actuelle fonctionne mais l’ensemble des besoins de ces entités doit être pris en considération et certains équipements nécessitent d’être remplacés, sans que cela n’altère la continuité de service et de communication.
Nous devons nous assurer que la communication vers l’ancien modem fonctionne, calibrer et réadapter la puissance des équipements renouvelés, remplacer le modem des TAAF et vérifier son enrôlement sur le satellite. Une fois le nouveau modem installé, un firewall pour chiffrer les données depuis l’Antarctique et un routeur seront mis en place.
Je me suis chargé de la gestion de projet et du design de l’architecture réseau et sécurité, en lien avec notre ingénieur réseau. Sur place, c’est un membre expérimenté et polyvalent de notre équipe « implémentation » qui a assuré cette mission en décembre dernier. Après 15 jours de quarantaine en Australie et 6 jours de voyage en bateau, il a eu 6 jours sur place pour effectuer ce travail. 6 autres jours ont été nécessaires pour le trajet retour. Le bateau effectue 5 rotations par saison, de fin octobre à février, pour le transport de personnes, de biens, de nourriture et d’équipements. Les conditions de travail sont très rudes.
Si nous devions résumer l’objectif principal de la mission de Telespazio France, quel serait-il ?
Nous avons du mal à nous remémorer ce qu’étaient nos vies et les échanges avec nos proches, notre réseau professionnel avant Internet, ou même, ce qu’ils ont pu être avant que nous ayons une bonne couverture téléphonique sur l’ensemble du territoire français. Sur les TAAF, les moyens de communication actuels relèvent de l’extraordinaire. Au-delà de la mission qui lui est confiée, cela fait partie intégrante de l’ADN de Telespazio France d’arriver à relier les hommes qui travaillent et vivent sur place et à les rapprocher de leurs familles ainsi que du reste du monde. En tant qu'acteurs de l’innovation spatiale, nous souhaitons apporter des solutions et services sur-mesure et démocratiser l’accès au spatial « à la demande », pour qu’il soit un vrai vecteur de connectivité entre les hommes.
Crédits photos : ©Eric Mévélec
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