Un environnement hors norme
Presqu’aussi grande que la Corse, l’île principale de l’archipel, la Grande Terre, comptabilise entre 50 et 100 habitants à peine selon les saisons. Parmi eux se trouvent des représentants de trois corps d’armée et des scientifiques qui parcourent les quatre coins de l’île pour observer la flore et la faune, particulièrement les manchots et les éléphants de mer présents en nombre. Cet archipel montagneux est soumis à de rudes conditions climatiques : le vent y souffle à plus de 60 km au moins 300 jours par an avec une température moyenne annuelle d’environ 5°C.
Son unique village est la station permanente de Port aux Français, située sur la péninsule Courbet, seule zone plate de la Grande Terre. Il bénéficie d’un climat plus favorable puisque situé sur la côte au bord d’un golfe abrité. Pour l’atteindre, une seule possibilité : le Marion Dufresne. Ce bateau fait le voyage 4 fois par an entre La Réunion et les îles australes françaises, dont Kerguelen, lors d’une rotation complète de 20 jours. Il a été conçu pour réaliser simultanément plusieurs missions : recherche scientifique, ravitaillement, et transport du personnel des bases TAAF, dont les équipes de Telespazio France.
Port-aux-Français (îles Kerguelen) station permanente, vue partielle (1983)
Les objectifs de la station de poursuite satellites
Aux Kerguelen, deux salariés Telespazio France s’occupent de la maintenance des antennes de la station de poursuite satellites en sous-traitance pour le CNES. Ce type de station permet le maintien et la mise à poste des satellites français et européens (CALIPSO, Pléiades, Helios, CSO, et d’autres satellites français ou européens dont a la charge le CNES).
La station permet de suivre les satellites défilants qui se situent en orbite basse (LEO) au-dessus de la Terre. Durant les 15-20 minutes pendant lesquelles ces satellites sont visibles au-dessus de la station, l’antenne les suit et permet de :
- Recevoir la télémesure qui descend du satellite ;
- Envoyer des télécommandes qui vont monter aux satellites et lui donner des ordres (réaliser des prises de vue, par exemple) ;
- Faire des mesures de localisation : mesure de la vitesse et distance du satellite.
Ces données sont ensuite transmises au centre de contrôle satellites basé à Toulouse. Plusieurs passages de satellites ont lieu chaque jour et la station se synchronise automatiquement sur les bonnes fréquences et avec les bonnes configurations pour suivre ces différents satellites.
Johann Lecoint et Didier Petit
Rencontre avec Didier Petit, technicien maintenance sur la station de Kerguelen
Combien de séjours avez-vous fait aux Kerguelen ?
Je rentre de mon septième séjour. La première fois que j’y suis allé, c’était il y a 25 ans, et j’y ai passé 4 ans au total. Nous sommes plusieurs à y avoir fait des périodes assez longues. C’est une expérience absolument unique, presque impossible à décrire, que l’on partage essentiellement avec ceux qui y sont allés. Ce sont des liens très forts qui se font dans cet endroit très particulier. C’est avant tout une aventure humaine et de vie en collectivité absolument unique et indescriptible.
Quel est votre rythme de travail sur place ?
Nous sommes deux, d’astreinte 24h/24h : c’est le métier de la maintenance. Si tout se passe bien, nous travaillons en horaires administratifs, et le weekend nous sommes libres pour aller pêcher, accompagner les scientifiques sur le terrain, découvrir les endroits accessibles de l’île…
À deux, c’est un défi ! Le plus grand est de bien s’entendre avec son collègue, c’est un travail d’équipe, et il faut trouver des personnes compatibles. C’est une expérience similaire à la vie sur un voilier. Ce n’est pas une « vie traditionnelle ».
Comment se passe la sélection pour participer à une mission aux Kerguelen ?
La maintenance des antennes est un métier un peu particulier. Nous sommes seulement une quarantaine à faire ça. Avant de partir sur une mission aux Kerguelen, il faut effectuer une formation de trois mois sur l‘antenne d’Aussaguel (dans le Lauragais, à 20 km de Toulouse), et une visite médicale est impérative avant le départ. Un médecin urgentiste est présent en permanence sur l’île, mais il vaut mieux éviter d’avoir des soucis de santé sur place…
Quel a été l’impact du Covid aux îles Kerguelen ?
Les TAAF ont fait le maximum et ont réussi pour l’instant à ne pas apporter le virus sur les îles. Ce sont des mesures très lourdes, mais vitales pour les gens qui partent là-bas (il n’y a pas d’unité de soins intensifs) : après une quatorzaine obligatoire à la Réunion, des test PCR à l’arrivée à la Réunion et la veille du départ, le voyage à bord du Marion Dufresne est également impacté. C’est un gros défi pour l’équipage notamment lorsqu’ils doivent descendre à terre pour charger le matériel, par exemple. Aussi, depuis le début de la pandémie, les touristes sont interdits à bord (une dizaine de places y sont habituellement réservées). Sur place en revanche, nous étions totalement libres de nos mouvements.
Comment s’est passé votre retour de cette dernière mission ?
Le retour avec la pandémie a été assez difficile et il a été encore plus compliqué que d’habitude de se réadapter. Sur l’île, on a le téléphone à volonté et les e-mails, mais l’accès internet est extrêmement limité. Cela ressemble à l’internet d’il y a une vingtaine d’années : je pense que c’est 512 Ko pour toute la base, pour 50 personnes donc. Pour les téléphones portables, on apprend à s’en passer... Pandémie ou non, lorsque l’on revient de ce genre d’endroit on est un peu déconnecté.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les enjeux liés à la protection de l’environnement sur l’île ?
Sur la protection même de l’environnement, nous n’intervenons pas directement au niveau de la station. Mais il nous arrive de donner des coups de main aux scientifiques : nous travaillons tous de manière autonome mais il y a un grand esprit d’entraide sur le terrain, en fonction des besoins de chacun.
Dans notre comportement de tous les jours, nous devons cependant appliquer des mesures de précaution très précises : par exemple, il faut à tout prix éviter d’emmener des graines d’un point à l’autre de l’île. Tous les habitants sont sensibilisés aux différentes règles qui participent à la protection de l’île. En étant là-bas, on prend conscience des enjeux liés à la protection de l’environnement puisque l’on se retrouve au milieu de la nature telle qu’elle a toujours été. Bien sûr, l’homme a eu un impact négatif partout où il est passé, y compris là-bas, mais c’est un endroit relativement préservé où nous sommes en contact direct avec la nature. Se retrouver dans une colonie de manchots de 300 000 individus, c’est assez puissant !
Si l‘on devait comparer la vie d’un satellite à celle d’un humain, son lancement n’en est que la naissance. Le reste de leur vie se déroule en orbite, à des centaines de kilomètres de la Terre, et les stations de suivi ainsi que les hommes et les femmes qui les maintiennent en service accompagnent ces satellites tout au long de leur existence. Sans eux, il nous serait impossible de recueillir des données vitales dans le domaine de la surveillance de l’environnement ou encore de la navigation, et ainsi, contribuer à l'une des missions principales de Telespazio : la préservation de la nature et de la vie sur notre chère planète.
Credit photos : Wikipedia Commons et Didier Petit
En savoir plus sur les Terres Australes et Antarctiques Françaises.
Lire (ou relire) l'épisode 1 de notre série d'articles sur les TAAF : Le spatial au service du développement durable.